L’Intelligence Artificielle : les alertes et inquiétudes de l’UNSa SJ

Depuis plusieurs années, nous entendons parler de l’Intelligence Artificielle (IA) et notamment avec les outils génératifs comme ChatGPT.

Ce système pouvait nous sembler très lointain dans nos sphères de travail, mais il a pris un essor tel au niveau mondial que nos missions, nos métiers peuvent être impactés très vite tant il évolue au jour le jour !

La question aujourd’hui, n’est plus de se demander si l’Intelligence Artificielle arrivera dans notre sphère professionnelle mais quand elle arrivera, comment elle arrivera, et surtout avec quels objectifs ?

L’UNSa SJ s’est donc penchée sur la question au niveau national mais aussi au niveau européen au sein des travaux de l’Union Européenne des Greffiers (EUR).

Une déclaration sur l’impact de l’IA sur les professions juridiques a été adoptée lors de l’Assemblée Générale de TALLINN (ESTONIE) en septembre 2024 et transmise aux Chancelleries européennes.

L’UNSa a cependant besoin de formaliser ses inquiétudes et alertes au niveau national de manière officielle en saisissant les services ministériels de la Justice (Cabinet, Secrétariat général, Direction des Services judiciaires, Direction interministérielle du Numérique (DINUM) etc.).

Parler aujourd’hui de la mise en place de l’Intelligence Artificielle au sein de nos services alors même que la première problématique devrait être l’efficience de nos logiciels professionnels semble prématuré.

Inutile de revenir sur les dysfonctionnements récurrents de Cassiopée, Portalis, etc.

À moins que l’Intelligence Artificielle ne soit envisagée comme un remède à ces graves lacunes informatiques qui confrontent une majorité de nos collègues à des conditions de travail absolument lamentables et dégradées !

Nous avons déjà plusieurs énormes handicaps avant même de démarrer la course :

– logiciels défaillants et créateurs d’insécurité juridique et de stress permanent ;

– réseaux encore sous dimensionnés ;

– volonté politique en totale contradiction avec les possibilités techniques existantes à notre niveau ;

– service du numérique hors sol qui annonce sans cesse que les choses s’améliorent !

Le Ministre de la Justice indique en mai 2025 que 100 % des flux correctionnels seront couverts par la Procédure pénale numérique (PPN) d’ici la fin d’année 2025 et que cela résoudra une grande partie des problèmes des applications informatiques…

L’UNSa SJ ne partage absolument pas son optimisme ! Et l’expérience dans ce domaine est de notre côté !

Ce ne sont pas les 5 euros par an alloués à la Justice sur un panier de 1000 euros de dépenses publiques annuelles qui vont permettre une amélioration aussi rapide de notre Service public !

Une fois ces constats posés, l’UNSa SJ a souhaité aller plus loin dans la réflexion puisque les difficultés techniques et organisationnelles ne feront que ralentir une mise en place de l’IA inéluctable.

L’ÉTHIQUE :

La première alerte que l’UNSa veut porter se situe au niveau éthique.

On nous parle de Justice prédictive où les algorithmes vont remplacer les juges humains pour régler les contentieux de masse !

Cela pose la problématique de l’évolution de la jurisprudence. En effet, si celle-ci sera prise en compte lors de la mise en place de l’IA, cela ne sera plus le cas après un, cinq ou dix ans.

L’humain est maître de la jurisprudence qui s’adapte à l’évolution de la société !

Second point d’alerte éthique, l’IA n’a pas de personnalité juridique, ce n’est pas un humain donc elle ne peut pas être tenue pour responsable d’une décision injuste ou inique !

Jusque-là, en cas d’erreur manifeste, le juge peut être tenu pour responsable d’une décision arbitraire ou infondée !

Et enfin, dans ce contexte, la séparation des pouvoirs est particulièrement importante. Celle-ci attribue à la Justice une fonction de contrôle dans la politique et la société, qui doit être exercée de manière indépendante. Les systèmes d’IA sont généralement développés par des entreprises privées. C’est pourquoi leur utilisation doit toujours être examinée en fonction de l’influence qu’ils peuvent avoir sur l’indépendance de la Justice.

Cela pose également la question de la sécurité des données informatiques et de leur accessibilité par des tiers extérieurs !

LES QUESTIONS SOCIÉTALE ET SOCIALE :

La société française, les responsables politiques et judiciaires doivent s’interroger sur quelle Justice nous souhaitons à l’avenir en France. C’est une question de société que de décider si ce sera une machine ou encore un humain qui prendra une décision de justice !

Par ailleurs, la garantie procédurale et le bon fonctionnement des juridictions supposent une intervention humaine qu’il conviendra de ne pas sous-estimer, pour le respect de la démocratie.

Cela pose réellement la question de la perte de l’interaction humaine avec le citoyen, le justiciable ! Pour l’UNSa SJ, c’est clair : on ne peut pas déshumaniser la décision de justice !

Au niveau social, depuis des années, le Ministère de la Justice essaie d’améliorer sa capacité de rapprochement avec le justiciable et/ou le citoyen usager de la Justice !

L’IA ne fera que l’éloigner encore plus des usagers et notamment les plus démunis qui ne sont pas en capacité à utiliser l’outil informatique ou le comprendre !

L’UNSa SJ n’acceptera pas cela, la Justice ne doit pas être simplifiée ou s’adresser uniquement aux plus riches !

LES CONSÉQUENCES SUR LES MÉTIERS DE GREFFE :

On ne peut pas minimiser l’effet que l’IA peut avoir sur les personnels en termes d’effectifs. En effet, forte de son approche européenne, l’UNSa SJ a un retour sur l’expérience estonienne. La mise en place du tout numérique et de l’arrivée de l’IA dans ce pays balte « a permis l’économie de 70 à 80 % des effectifs au sein des tribunaux » dixit le communicant du Ministère de la Justice estonienne.

Si l’exemple de ce pays balte ne peut pas se transposer tel quel à la France (population, surface du pays, PIB, etc.), il est cependant assez marquant pour nous alerter !

LES OBJECTIFS :

En dernière alerte, l’UNSa SJ a d’importantes craintes quant aux objectifs qui seront assignés en marge de la mise en place de l’IA au Ministère de la Justice.

Il ne faut pas que la doctrine présidant au recours à l’IA soit une économie d’échelle sur les contentieux de masse, très chronophages.

Ce qui doit guider nos dirigeants doit être l’amélioration du rendu de la Justice, plus rapide, plus simple, pour tous, toujours gratuit tout en restant une justice humaine.

Il ne sert à rien de rejeter l’IA dans le domaine de la Justice. Il est plutôt nécessaire d’en délimiter les domaines d’application concrets.

Du point de vue de l’UNSa SJ, en premier lieu, il faudra définir en concertation les étapes de travail, les missions et/ou les domaines de travail des personnels de greffe qui ne peuvent en aucun cas être confiées à une IA.

Celles-ci doivent ensuite être définies et codifiées.

Cela ne signifie toutefois pas que toutes les autres étapes de travail seront transférables à l’IA. Celles-ci doivent faire l’objet d’un examen critique au regard des critères de l’utilisation de l’IA.

CONCLUSION :

L’introduction de l’Intelligence Artificielle dans les professions juridiques soulève de nombreuses interrogations, allant de l’éthique à la déshumanisation du droit.

Si l’IA propose une plus grande efficacité, une réduction des coûts et une aide précieuse dans le traitement de volumes importants de données, elle n’est pas sans risques.

La fiabilité des algorithmes, le respect du secret professionnel, l’équité dans l’accès à la Justice et la responsabilité en cas d’erreur sont autant de défis majeurs.

Il convient également de rester vigilants face à la perte de compétences humaines et au risque de dépendance technologique.

L’enjeu est donc de trouver un équilibre entre progrès technologique et respect des principes fondamentaux du droit, afin que l’IA demeure un outil au service de la Justice, et non un substitut aveugle à l’expertise humaine.


Le Bureau National de l’UNSa SJ, Paris le 2 septembre 2025

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